Linvité de la semaine Soheib Bencheikh Mufti de Marseille (L'Humanité)
L’islam aujourd’hui est interrogé d’une certaine manière. Doit-il être réformé et pourquoi ? Ma réponse est oui. La foi n’est pas la théologie. Elle est le mystère qui transcende l’intelligence de l’homme. La théologie est une tentative de cette même intelligence pour comprendre le mystère. Il s’agit donc d’un travail humain, ancré dans le temps et dans l’espace. Le plus grand bonheur d’une religion vient de sa théologie, mais son plus grand malheur vient aussi de sa théologie quand elle se fige. Cette vérité se lit davantage dans la religion musulmane. L’islam n’a pas de clergé. La seule autorité en son sein est un texte, le Coran. Qui dit texte dit forcément lecture et interprétation du texte. Il est toujours lu et relu au travers des soucis et des aspirations de son ou de ses lecteurs, de ses attentes et de ses problèmes. Le Coran a été accompagné longtemps d’une intelligence créative et interprétative qui a su lui assurer une souplesse et une jeunesse renouvelées. Malheureusement, cette intelligence de la pensée musulmane et de la théologie musulmane est actuellement stagnante et cela depuis huit à sept siècles. Les musulmans d’aujourd’hui, pour partie, vivent le Coran avec la compréhension de leurs lointains ancêtres. Ceux-là entendent appliquer une justice qui était celle d’une société tribale et clanique et qui n’a plus lieu d’être. Ils ont sacralisé le texte et les commentaires faits sur le texte. Ils ont sacralisé l’islam et les exégèses issues de la compréhension des hommes. Cela, aujourd’hui crée un décalage dangereux entre notre statut de citoyens qui vivent leur société et leur siècle et notre statut de croyants qui veulent être en conformité avec une vérité spirituelle. Dans l’état actuel des choses, les deux s’excluent mutuellement. Le croyant fait allégeance à un souverain, se rattache à une lignée familiale et à sa confession. Le citoyen lui, est source de toute légitimité y compris politique. Nous sommes dans un état auquel nous avons légué provisoirement une souveraineté et qui doit justifier son utilité à tout moment. Les deux visions ne correspondent plus à cause d’un anachronisme flagrant entre la pensée religieuse et le vécu des musulmans. Toute réforme de l’islam doit d’urgence commencer par désacraliser le patrimoine de l’islam, tout l’ensemble des textes, des commentaires et du travail théologique autour du texte. Il faut retourner au texte et le relire avec une intelligence neuve, avec la culture et les soucis de l’homme d’aujourd’hui.
(L'Humanité - 11/10/01)